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Le cas Carrefour

Carrefour est le numéro deux mondial de la grande distribution et l’un des premiers groupes français. Ces dernières années, l’entreprise a connu des fortunes diverses du fait d’erreurs dans sa politique de prix et son positionnement, mais l’entreprise demeure efficace. Or, il semble que le groupe soit menacé… par ses actionnaires. Une histoire qui en dit long sur l’opposition entre logiques financière et industrielle.

L’histoire commence il y a  plus de deux ans, lorsque Bernard Arnault (patron et principal actionnaire de LVMH, plus grosse fortune de France) et le fonds américain Capital Colony, fond d’investissement spécialisé dans l’immobilier, entrent au capital de Carrefour, dont ils deviennent des actionnaires importants par l’intermédiaire d’une filiale luxembourgeoise commune, Blue Capital. Leur objectif, apparemment, était de faire une plus-value rapide en poussant l’entreprise à vendre une partie de son patrimoine immobilier et foncier.

Cette stratégie a évidemment été compromise par le krach immobilier : difficile de trouver des acheteurs à un prix intéressant par les temps qui courent et pour l’avenir prévisible. Or, en attendant des jours meilleurs, les intérêts de la dette contractée pour cet achat dépassent largement les dividendes versés par Carrefour, malgré l’éviction du PDG, remplacé par un patron à l’échine plus souple.

Dépeçage

Un nouveau projet a alors germé dans l’esprit fertile des « investisseurs » : vendre les filiales asiatiques et sud-américaines du groupe pour se replier sur l’Europe. A peine connue, cette idée a mis en colère les autorités chinoises, qui veillent à maintenir l’équilibre des forces dans la grande distribution et pour qui Carrefour sert de contrepoids à la présence envahissante de Wal-Mart. Finalement, la vente de la filiale chinoise a été abandonnée.

L’intérêt de cette vente est purement financier : en gros, Arnault et Capital Colony ont acheté leurs titres 50 euros et ils en valent aujourd’hui 30. Les ventes projetées permettraient de distribuer un dividende exceptionnel de 10 euros environ ; de quoi rentrer un peu dans ses frais, à condition que l’opération ne fasse pas baisser le cours de l’action, ce qui est loin d’être acquis.
En effet, Carrefour est un groupe qui vit aujourd’hui sur deux piliers : des marchés européens (et notamment français) stables, mais qui sont des marchés mûrs, sur lesquels le potentiel de hausse des ventes est très limité ; et des marchés émergents beaucoup plus dynamiques, avec des taux de croissance qui peuvent aller jusqu’à 30% par an. Alors que les premiers ont assuré l’essentiel du chiffre d’affaires et des profits, les seconds constituent la principale source de croissance. Sans eux, les perspectives de profits du groupe sont très limitées. Dans ces conditions, il n’est même pas sûr, si l’opération réussissait, qu’elle soit finalement profitable, dans la mesure où elle entraînerait une chute du cours du titre.

En synthèse, ce qui arrive aujourd’hui à Carrefour illustre bien les contradictions qui peuvent exister entre les intérêts financiers à court terme et les stratégies de long terme. Colony et Arnault se comportent en prédateurs, achetant pour revendre avec profit, en dépeçant au passage leur proie et en la privant de perspectives de développement en réalisant par avance financièrement ces perspectives. Ce n’est évidemment pas l’intérêt de l’entreprise.

Contradictions

Mais en quoi ces guerres intestines entre capitalistes viennent-elles interférer avec l’intérêt général ? Il y a une certaine logique dans le développement de Carrefour à l’étranger. C’est l’intérêt des pays d’accueil, qui bénéficient de ce savoir-faire en termes de qualité des entreprises et de formation de la main-d’œuvre. Et c’est l’intérêt du pays d’origine, en l’occurrence la France, qui valorise sur les marchés émergents le savoir-faire acquis en Europe. On peut aussi penser que le développement à l’étranger de groupes de grande distribution français favorise l’exportation de certains des produits qui y sont vendus.

Cette anecdote illustre bien les travers auxquels conduit le transfert de la propriété des entreprises entre les mains d’entités mues par des logiques purement financières de court terme. Pendant des années, les fonds de pension ont clamé qu’ils offraient une perspective, car, gérant l’argent de leurs clients pour une longue durée, ils étaient des investisseurs fiables, laissant aux entreprises le temps de mettre en œuvre des investissements. On sait aujourd’hui que c’est faux, la détention d’un titre par un fonds de pension ne durant pas plus de six mois en moyenne. La finance est bien portée par le souci de contraction maximale du temps de réalisation de la valeur ; quel qu’en soit le prix pour les entreprises concernées et les personnes qui y travaillent.

Une remarque théorique pour conclure : si la théorie financière standard était juste, investir dans une entreprise pour la revendre par morceaux serait parfaitement justifié, puisque la firme n’est qu’une somme d’actifs qui n’ont pas plus de valeur assemblés que dispersés. Il appartient aux deux Nobel de cette année, avec d’autres, d’avoir montré que cette théorie était fausse et qu’une entreprise était un peu plus que cela.

Arnaud Parienty pour alternativeseconomiques.fr

Tag(s) : #société
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