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Coulisses. Pourquoi les fonds veulent démanteler le géant de la distribution.

Carrefour est demandé au rayon vente à la (dé)coupe. Réunis en conseil le 1er mars avant la présentation des résultats 2010, les administrateurs du numéro deux mondial de la distribution se sont prononcés en faveur de la dissection de ce mastodonte de 475 000 salariés et de plus de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Dans le projet qui devrait aboutir en juillet, le fleuron du CAC 40 sera scindé en trois entités. La première, Carrefour Property, regroupant les actifs immobiliers du groupe, sera en partie ouverte à des investisseurs extérieurs, à hauteur de 25 % pour l'instant. La deuxième, qui accueillera les magasins hard discount Dia, sera mise en Bourse, à Madrid. Quant à la troisième, elle incarnera le nouveau Carrefour après amputation.

Le chirurgien chargé de l'opération sera Lars Olofsson. Né en Suède, ce dirigeant inconnu du grand public a passé trente-deux ans chez Nestlé avant de rejoindre Carrefour début 2009. Mâchoire carrée, coupe militaire, muscles d'acier : le nouveau directeur général, agé de 59 ans, a la silhouette d'un GI et les tarifs d'un mercenaire. Outre un fixe de 1,5 million d'euros par an, le manager a négocié un bonus qui lui permet de doubler cette somme, des stock-options et, surtout, la prise en compte de dix ans d'ancienneté dans le calcul de sa retraite chapeau... S'il tient trois ans chez Carrefour, il pourra revendiquer une retraite annuelle de 500 000 euros au moins. Ne pas se fier, toutefois, à ce profil de Terminator. L'homme est un spécialiste des marques qui font rêver. Et la mission qu'il se voit confier à son arrivée par le fonds américain Colony Capital et le milliardaire Bernard Arnault, premiers actionnaires de Carrefour au travers de Blue Capital, consiste à réenchanter l'hypermarché. Erreur de casting ou virage à 180 degrés ? Le docteur Olofsson, qui était venu relancer l'entreprise, se retrouve aujourd'hui un bistouri entre les mains... Explication.

Relancer la machine. Hier référence du secteur, l'inventeur de l'hypermarché est en perte de vitesse. En France, qui reste son premier marché, Carrefour lâche du terrain face à son grand rival, Casino, qui dispose de meilleures implantations en zone urbaine, et perd des parts de marché sur son format de prédilection, l'hyper, face à des indépendants plus agressifs comme Leclerc ou Intermarché. A l'étranger, où il doit ferrailler avec les anglo-saxons Walmart et Tesco, l'ex-premier de la classe est handicapé par sa dispersion géographique, qui l'empêche de concentrer ses investissements sur quelques pays clés comme le Brésil ou la Chine.

Résultat : alors qu'il affichait un résultat net de 1 milliard d'euros en 2000, le groupe n'a dégagé qu'un petit bénéfice de 385 millions en 2009. Pour relancer la machine, les actionnaires sont allés chercher un champion du marketing : Lars Olofsson, qui a présidé pendant des années Nespresso, l'usine à fantasmes (et à cash) de Nestlé, leur est présenté par Maurice Lévy, patron de Publicis, comme un magicien des concepts capable de rendre à terme la marque Carrefour aussi désirable qu'Ikea et Picard réunis. Banco ! Dans les mois qui suivent l'arrivée du Suédois,"le positif est de retour". D'abord sur les écrans télé, où l'on voit surgir ce slogan inspiré du cultissime "avec Carrefour je positive" de 1988. Au siège, aussi, où les barons du "canal historique" sont poussés vers la sortie. Pour les remplacer : des stars débauchées chez Tesco, Walmart ou encore Procter- Gamble donnent à l'état-major de Carrefour un air de Real Madrid de la distribution. Même la CFDT, sous le charme du nouveau patron et de son plan anti-morosité, lancé à l'été 2009 et baptisé "En avant !", accueille d'un "Chiche, si on positivait !" les premières annonces d'Olofsson.

En août 2010, au top de sa popularité, le Séguéla des linéaires - même bronzage, même sens de la formule mais Breitling (et non Rolex) au poignet - dévoile son atout maître : Carrefour Planet, l'hypermarché du XXIe siècle. Analystes et journalistes sont conviés en grande pompe à Ecully, dans la banlieue de Lyon, pour découvrir une grande surface d'un genre nouveau. A mi-chemin entre le supermarché traditionnel et Disneyland, ce prototype est censé permettre à Carrefour de rattraper son retard dans le non-alimentaire. Dans la semaine qui suit la présentation, l'action Carrefour s'envole de 5 %...

Mais les talents de bateleur d'Olofsson montrent vite leurs limites."Dans la grande distribution, le court terme c'est la journée, le long terme le mois, rappelle un ancien dirigeant du groupe.Olofsson a la bonne analyse, mais il a un problème de rythme. Sans doute a-t-il passé trop de temps au bord du lac Léman." On reproche au Suédois de fréquenter davantage les terrains de golf et les dîners en ville que les magasins du groupe. Quant au style de management du nouveau dirigeant, autocratique et très centralisé, il braque les patrons locaux."Olofsson dirige tout depuis Paris, assisté par des palanquées de consultants qui multiplient les process. Ce système formaté nuit à l'initiative individuelle, moteur fondamental dans la distribution", constate un ex-Carrefour.

Non seulement les ventes ne décollent pas, mais le nouveau boss, trop optimiste dans ses prévisions de bénéfices et surpris par un trou de 550 millions dans les comptes de sa filiale brésilienne, est obligé de publier deux avertissements sur ses résultats au cours du deuxième semestre de 2010.

Au pied du mur. Plus grave, les Carrefour Planet en test présentent des "résultats décevants", pour reprendre des propos d'Olofsson lui-même, parus en décembre dans le Wall Street Journal. Même sa dream team a des ratés : Vincent Trius, vedette chipée à Walmart en mai 2010, vient de claquer la porte. Après avoir chuté de 17 % au cours du dernier trimestre 2010, le titre plafonne désormais aux alentours de 35 euros.

Une catastrophe pour le premier actionnaire de Carrefour, Blue Capital, qui comptait sur le changement de management pour créer un électrochoc et récupérer sa mise. Entré au capital au sommet du cycle, en mars 2007, l'attelage entre Sébastien Bazin, patron pour l'Europe du fonds californien Colony Capital, et Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, avait au départ pour projet d'isoler l'immobilier du groupe en vue de reproduire le coup financier réalisé par Casino avec la cotation de sa filiale immobilière Mercialys. Mais, barrés par la famille Halley, actionnaire historique, et par José Luis Duran, l'ex-PDG du groupe, les invités surprise ne sont pas parvenus à faire leur opération avant l'effondrement des marchés et se sont retrouvés empêtrés dans un bourbier industriel et boursier.

Au pied du mur, ils tentent de reprendre aujourd'hui la main. Non sans avoir préalablement assuré leurs arrières. Depuis un an, le fonds activiste Knight Vinke Asset Management, qui détient plus de 1 % du capital, s'est mis dans leur sillage. Le conseil de surveillance est lui aussi aux ordres. Victime de dissensions au sein de son clan, Robert Halley, dernier représentant des fondateurs, avait dû céder la place de président du conseil de surveillance de Carrefour à un Amaury de Sèze plus docile. Le même jour, Bernard Arnault et son ami Thierry Breton faisaient leur entrée aux côtés des deux représentants des fonds déjà installés, "B - B", surnom donné à Sébastien Bazin et Nicolas Bazire (l'homme d'Arnault chez Carrefour). Le conseil compte aussi Jean-Laurent Bonnafé, de BNP Paribas... par ailleurs l'une des banques d'affaires mandatées par Carrefour pour travailler sur la scission !

La méthode est la même que celle qui a été appliquée précédemment chez Accor, autre fleuron du CAC où Colony possède une importante participation. En 2009, Bazin a obtenu que la juteuse filiale Ticket Restaurant soit séparée du reste du groupe et cotée. De la même façon, c'est en découpant en tranches le mammouth qu'il espère sauver les meubles chez Carrefour."Nous aurons des équipes dédiées à la modernisation des sites, ce qui permettra à Lars Olofsson de se concentrer sur la relance des hypers", explique-t-on dans l'entourage de Blue Capital. Et de souligner au passage le succès du découpage d'Accor, dont les deux morceaux réunis valent aujourd'hui 53 euros en Bourse, contre 39 avant l'opération.

Sauf que, dans le cas de Carrefour, le marché continue de douter. Car la distribution est un marché d'épiciers, dans lequel les marges sont extrêmement faibles. Le modèle des hypers, où Carrefour est le plus impliqué, ne fait plus recette. Privés du contrôle de leurs murs, les patrons de magasins risquent de perdre encore un peu plus de souplesse face à des concurrents plus agiles comme Leclerc."Une fois les branches coupées, il est possible que l'on assiste à un scénario à la Pechiney, met en garde un analyste.La France pourrait alors perdre l'un de ses champions nationaux." Le conseil de surveillance a entériné l'opération sans broncher. Le directeur général, que l'on dit très orgueilleux, acceptera-t-il d'exécuter les ordres d'un actionnaire qui possède moins de 15 % du capital, au risque d'être le fossoyeur de Carrefour ? Olofsson est arrivé avec la réputation et le salaire d'une star. Il semble condamné à jouer les figurants... de luxe.

Les mauvais calculs de Blue Capital

 

 

Colony Capital et Bernard Arnault sont entrés au capital de Carrefour début 2007. Ils en possèdent aujourd'hui 11 % au titre de Blue Capital, leur société commune, immatriculée à Luxembourg, plus 1 % en propre pour Arnault et 2,06 % pour Colony (1). Ces 14,06 % ont été financés, d'après un banquier proche du dossier, par dette à 85 % en moyenne. Au cours actuel, l'opération est déficitaire de 1,3 milliard d'euros malgré les dividendes perçus. Il faut ajouter à cela les frais financiers (200 millions d'euros par an, soit 800 millions au total). Selon les calculs du Point, pour que Blue Capital récupère sa mise, l'action doit gagner 20 euros. Pas sûr que le projet de scission suffise...

 

Les fondateurs

 

 

Le fondateur du fonds américain Knight Vinke Asset Management, activiste redouté, a pris un ticket de 1 % dans Carrefour. Après s'être opposé à la fusion GDF Suez et avoir réclamé sans succès la tête de Gérard Mestrallet, il pourrait, si le cours de Carrefour ne remonte pas assez vite, faire campagne contre son DG.

Sébastien Bazin et Bernard Arnault

Le patron en Europe du fonds américain Colony Capital et le milliardaire du luxe, entrés en 2007 dans le capital de Carrefour au travers d'une société commune, Blue Capital, pensaient faire un coup financier en isolant l'immobilier du groupe pour en tirer de juteux rendements. Mais, avec l'effondrement du marché, les deux actionnaires se sont retrouvés " collés " avec les 14 % du capital qu'ils possèdent. Obligés d'envisager des solutions plus radicales pour récupérer leur mise, ils viennent d'obtenir la double scission des activités immobilières et du hard discount. La vente de filiales à l'étranger pourrait suivre.

Lars Olofsson

Le directeur général de Carrefour, arrivé début 2009 et présenté comme une star du marketing, a déçu. Son nouveau concept de magasins, Carrefour Planet, supposé réinventer l'hypermarché, n'a pas donné les résultats attendus. Sous pression de ses actionnaires, il doit mener à bien la scission du groupe.

 

Un empire menacé

 

 

1 401 hypermarchés, dont 6 Carrefour Planet ;

2 952 supermarchés ;

5 059 magasins ; de proximité : Carrefour Express, mais aussi 8 à Huit, Shopi, Carrefour City, Carrefour Contact et Proxi ;

152 magasins de cash - carry Promocash ;

une présence dans 33 pays.

6 373 maxi- discounters Dia ;

plus de 1 000 sites immobiliers logés dans Carrefour Property et évalués à 11 milliards d'euros (à vendre pour partie).

Les activités en Slovaquie, au Portugal, sauf le hard discount, et en Suisse (2007), en Russie (2009), en Thaïlande (2010).

 

A vendre

 

 

6 373 maxidiscounters Dia ; plus de 1 000 sites immobiliers logés dans Carrefour Property et évalués à 11 milliards d'euros (à vendre pour partie).

 

Vendues

 

 

Les activités en Slovaquie, au Portugal, sauf le hard discount, et en Suisse (2007), en Russie (2009), en Thaïlande (2010).

 

source:lepoint.fr

 

Tag(s) : #Carrefour
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